Toutes photos par @conteska
J’en connais probablement autant sur le bois que j’en sais sur le jardinage, c’est-à-dire pas grand-chose. Et puis un jour, je me retrouve à l’autre bout de la terre à Chiang Mai, la plus grande ville de la Thaïlande du Nord, où pendant une semaine je vis entourée de bois, sous toutes ses formes. J’y suis toujours d’ailleurs, avec Shimon, le cofondateur d’Artemano, et Gaby, la directrice du marchandisage dans le cadre d’un voyage d’achat. Je n’ai aucune idée à quoi m’attendre, à part de voir beaucoup de bois.
Le premier fournisseur à qui nous rendons visite est un homme au visage rond. Il dirige son entreprise au fin fond du bois où il s’est bâti un petit empire à ciel ouvert, à trois heures d’où nous restons. T. ne parle pas un mot d’anglais et ricane à chaque fois qu’on lui pose des questions comme : « À quand la date de livraison? » Il nous répond en riant : « Quasi, quasi! »
Il s’agit du fournisseur avec lequel nous avons le plus de difficulté à communiquer. Pourtant, c’est lui qui possède la meilleure source d’approvisionnement de bois dans la région. Cela n’aide pas de devoir faire appel à un traducteur pour lui faire savoir que non seulement nous sommes toujours en attente de certaines cargaisons, mais que nous voulons aussi accroître leur nombre par mois. Et oui, Artemano prospère, et nous voulons que nos fournisseurs en fassent autant.
Le problème ne réside pas dans la quantité de bois, mais dans la technique que le fournisseur utilise pour bien le faire sécher, et rapidement, avant l’envoi. Le bois humide ne résiste pas au climat canadien : tout comme notre peau, il sèche et craque lorsqu’exposé au chauffage artificiel. Alors que faire?
Nous avons marché pendant quatre heures à travers les champs (ceux que les GPS ne détectent pas) au milieu d’énormes troncs de suar à côté desquels nous avions l’air de nains, nous et la camionnette dans laquelle nous sommes arrivés. Je n’avais jamais vu de troncs d’un tel calibre – des troncs qui proviennent des plantations de fermiers qui disposent du suar une fois que les scarabées qui l’utilisent comme hôte aient terminé d’y produire leur shellac, ou encore des champs que le gouvernement fait dégager quand il a besoin d’espace pour ses divers projets d’aménagement.
C’était grandiose – une forêt horizontale de bois et d’écorce.
Il faisait si chaud que j’ai eu peur que ma caméra ne fonde. Si chaud qu’un mélange de pâte à biscuit déposé sur le sol aurait cuit en 20 minutes. Si chaud que je me suis demandé : « Pourquoi Shimon et Gaby se soumettent-ils à ce supplice alors qu’ils peuvent embaucher quelqu’un qui choisisse le bois pour eux? »
Mais non. Champ après champ, ils inspectèrent chaque tronc, un par un. Ils en choisirent 17 qui deviendront des tables de salon, des tables de salle à manger et des buffets de toutes sortes.
La journée se termina par un repas de célébration avec T. et son équipe dans un restaurant (ou plutôt une bâche étalée au milieu d’une rizière) non loin de là. Quel repas mémorable! Le plus beau de mon séjour. Au menu : « poulet sautillant » frit (des cuisses de grenouilles), anguilles frites et soupe de pattes de poulet. « Toi mange! Pied est très tendre! » s’exclama Bai en brandissant une louche de pattes de poulet flasques (oui, j’aime bien sortir des sentiers battus et j’adore tout ce qui n’est pas publicisé sur Trip Advisor, mais ça s’arrête aux pattes de poulet).
Je regardais autour de moi. La communication passait à travers des gestes et des rires, et la gêne que l’on avait ressentie au début de notre rencontre avait disparu. Ces heures passées ensemble dissipèrent toutes nos difficultés de communication laborieuse et de nouvelles ententes furent conclues – les deux compagnies prospèreraient ensemble.
L’explication que Shimon m’avait donnée plus tôt prit toute son ampleur. Je compris pourquoi l’équipe d’Artemano tenait mordicus à se rendre au bout du monde quatre fois par an. Ce n’était pas uniquement dans le but de choisir le meilleur bois possible, mais aussi pour rencontrer les fournisseurs en personne, car « les relations durables ne se créent pas sans contact humain ».
Je commence à comprendre la magie d’Artemano : elle métamorphose la tension en connexion, la communication difficile en collaboration. Et je pense même… je pense même que cette magie se trouve aussi imprégnée dans le grain de la table de salon dont vous tomberez follement amoureux et voudrez à tout prix ramener à la maison.